Grandi Maestri
Le compositeur avant-gardiste d’une « musique de credo » s’est éteint à Pérouse (Italie), à l’âge de 92 ans.
Le compositeur et pédagogue suisse Klaus Huber est mort le 2 octobre, à l’âge de 92 ans, à Pérouse (Italie), non loin de Panicale, où il avait élu domicile. Représentant majeur de l’avant-garde, il laisse une œuvre abondante et édifiante, destinée à lutter contre « la chosification de l’être humain ». Apôtre, selon ses propres termes, d’une « musique de credo », Klaus Huber s’est fait connaître, en 1959, par une partition au titre prophétique : Paroles de l’ange adressées à l’homme. Par la douceur infinie de son regard, il donnait effectivement l’impression d’avoir reçu la visite d’un messager céleste. L’Ange au sourire, à n’en pas douter, tant son visage rayonnait de malice.
Né à Berne, le 30 novembre 1924, Klaus Huber fréquente le lycée de Bâle puis l’Ecole normale d’instituteurs de Küsnacht avant d’étudier, de 1947 à 1949, au Conservatoire de Zurich où il obtient les diplômes de violon et de didactique musicale. Il travaille ensuite l’écriture avec Willy Burkhard puis la composition, à Berlin, de 1955 à 1956, avec Boris Blacher. Engagé comme assistant de Stefi Geyer, son ancien professeur, il enseigne le violon à Zurich jusqu’en 1960 puis intègre l’Académie de musique de Bâle où il a la charge d’une classe d’orchestration (1964) puis de composition (1968-1972).
EN 1979, IL PUBLIE UN ESSAI INTITULÉ « LA MUSIQUE, NÉCESSAIRE À LA VIE »
Sa carrière pédagogique se poursuit à Fribourg-en-Brisgau, de 1973 à 1990. C’est là qu’il acquiert une réputation de maître de composition hors pair et qu’il forme de nombreux créateurs appelés à compter dans la musique contemporaine, parmi lesquels l’Anglais Brian Ferneyhough, l’Allemand Wolfgang Rihm, la Finlandaise Kaija Saariaho ou le Suisse Michael Jarrell. Le premier cité, appelé à lui succéder, résume mieux que quiconque la spécificité de la musique de celui qui, en 1979, a publié un essai intitulé La musique, nécessaire à la vie. « Commune à toutes ses œuvres est l’ample démonstration d’une maîtrise supérieure, vraiment remarquable, des ressources instrumentales et textuelles, une introversion profonde et naturelle de l’expression (…) et un contrôle du temps musical incomparable. »
Un électrochoc humaniste et chrétien
Les premiers opus manifestent une inquiétude mystique qui situe Klaus Huber dans le voisinage de Bernd Alois Zimmermann (1918-1970) avec lequel il partage un goût pour le mélange des styles et des sources. L’oratorio Soliloquia (1959-1960), d’après Saint-Augustin, et la pièce pour grand orchestre Tenebrae (1966-67), « une musique de la Passion sans texte », illustrent cette orientation.
Sans être un activiste passionné comme Luigi Nono (1924-1990), Klaus Huber ne se contente pas d’ouvrir les yeux – et les oreilles – de ses prochains par un électrochoc humaniste et chrétien, il tente de les mobiliser, en 1980, par un oratorio politique, Humiliés – Asservis –Abandonnés – Méprisés, à base de textes provenant de bidonvilles, de prisons et d’écrits d’Ernesto Cardenal (instigateur de la « théologie de la libération » que le compositeur a rencontré au Nicaragua). Le futur détenteur d’un prix (2007) au Festival européen de musique ecclésiastique de la ville de Schwäbische Gmünd ne s’assagit pas avec la création, en 1985, des Canciones de circulo gyrante qui célèbrent la reconstruction des douze églises romanes de Cologne détruites pendant la seconde guerre mondiale en tentant d’« éveiller les consciences à la croissance exponentielle des potentialités destructrices qui, depuis les années quarante, se sont multipliées par cent, voire par mille. »
Adepte d’une forme de marqueterie musicale qui associe des matériaux aussi divers que les micro-intervalles (avec une prédilection pour les tiers de ton), les citations de Bach ou de Mozart et les instruments de la musique arabe (découverte avec l’ensemble franco-syrien Al-Kindi), Klaus Huber s’appuie sur un artisanat de qualité supérieure pour livrer un message où le cœur le dispute à l’esprit. Ainsi, en 2002-2004, avec A l’âme de descendre de sa monture et aller sur ses pieds de soie, sur des vers du poète palestinien Mahmoud Darwich (extraits du poème Etat de siège écrit à Ramallah) ou, en 2007, avec Quod est Pax ? Vers la Raison du Cœur… sur un message de Jacques Derrida pour Le voyage en Palestine du parlement international des écrivains.
Klaus Huber en quelques dates
30 novembre 1924 : Naissance à Berne (Suisse)
1959 : « Paroles de l’ange adressées à l’homme »
1973-1990 : Professeur de composition à Fribourg-en-Brisgau
1985 : « Canciones de circulo gyrante »
2007 : « Quod est Pax ? Vers la Raison du Cœur… »
2 octobre 2017 : Mort à Pérouse (Italie)
Pierre Gervasoni
via Le Monde